Traduit par Yasemin Vaudable
Après
les vagues d'euphorie et de critique des "Roaring
Nineties", le discours sur la Nouvelle Autonomie
glisse davantage vers la dépression dans le climat actuel
de crise économique.
Les
années 90 ont été une période ambivalente pour les artistes:
tandis que les possibilités de rémunération étaient
plutôt moindres sur le marché artistique traditionnel,
il y eut une énorme euphorie de créativité dans le monde
économique. Ce boom engendra d'une part une possibilité
de revenu dans les secteurs florissants de design et
du Net. D'autre part, il fit d'un style de vie qui, jusqu'alors, distinguait les artistes du monde des
employés, l'idéal du monde du travail de la New Economy:
autonomie et auto-responsabilité formelles, travail
et revenu non réglementés, dissolution des limites entre
travail et temps libre, montée de composantes créatives
dans l'activité, orientation vers des projets.
La
montée des rapports de travail qualifiés "d'atypiques"
– par opposition aux rapports de travail d'employés,
dits normaux dans le cadre du fordisme – n'était certes
rien de totalement nouveau. Cependant, le fait que le
travail flexibilisé ne concerne plus seulement les femmes
et les migrants travaillant à des postes subordonnés,
mais aussi, de plus en plus, les membres des couches
sociales masculines, indigènes, éduquées, fît du phénomène
un sujet attirant particulièrement l'attention des journalistes.
Cette
nouvelle autonomie développa son dynamisme le plus visible
dans des segments de créativité et de communication,
où la participation à des discours sur la propre identité
et le propre rôle fait partie, au sens large, du travail.
Ceci pourrait expliquer le fait que le nouveau monde
du travail de la New Economy engendra l'émergence d'une
créativité littéraire considérable
autour de lui.
La
littérature sur le phénomène des "nouveaux indépendants",
pourrait se subdiviser en quatre groupes, qui ont tous
connu leur apogée dans diverses phases discursives:
à commencer par les idéologues euphoriques, ces derniers
furent rapidement confrontés à des détracteurs, suivis
par ceux qui donnèrent au phénomène une orientation
critique. Dans un premier temps, la conclusion consiste
en une littérature de dépression accompagnant la crise
actuelle.
Mais,
procédons dans l'ordre.
Idéologie euphorique
En Allemagne, la
"Commission pour les questions d'avenir" des
Etats libres de Bavière et de Saxe,
dont le sociologue Ulrich Beck, entre autres, était
membre, annonça en 1997 une vision portant sur la solution
du problème de chômage en Allemagne dont il fut beaucoup
discuté: il fallait, selon cette vision, se défaire
une fois pour toutes du modèle de l'employé. En effet,
c'était davantage "l'homme en tant qu'entrepreneur
de sa propre force de travail et de sa propre assurance
sociale" qui allait désormais constituer le modèle
de l'avenir. L'on assiste ainsi à l'avènement de l'individu
autarcique, auto-responsable, qui entend émerger comme
résultat du retrait radical de l'Etat de l'arrangement
des conditions générales, sociales et régulatrices,
de l'économie privée. En Allemagne, cette vision s'est
récemment très rapidement presque réalisée à travers
le modèle de "Ich AG" ("société anonyme
constituée d'une seule personne") proposé par la
Commission Hartz dans son plan de réforme du marché
de l'emploi.
Dans
le pays d'origine de la New Economy Outre-Atlantique,
le son de cloche était semblable dans les années 90:
C'est l'oeuvre de Daniel Pink, "Free Agent nation:
How America's new independent workers are transforming
the way we live" (2001) qui constitue le point
culminant de cette évolution. Pink dépeint la vision
d'une nation de travailleurs indépendants, pour lesquels
la fuite de la servitude au sein de grandes entreprises
signifie l'épanouissement de soi, la liberté et la maximisation
du revenu.
Critique
La
critique de cette image nécessite guère de gros effort.
Les analyses critiques de l'existence-freelance opposent
aux visions optimistes une évidence empirique, afin
de la démasquer en tant qu'idéologie. Un coup d'oeil
sur les conditions sociales suffit pour voir que les
promesses de la littérature euphorique ne tiennent,
pour la plupart, pas debout, ou à peine. Les principales
études menées sur l'Autriche proviennent d'un environnement
proche des syndicats: Eva Angerler/Claudia Kral-Bast:
"Typische Atypische" (1998), Fiftitu%: "(A)typisch
Frau – zwischen allen Stühlen" (2002), Gerhard
Gstöttner-Hofer et al.: "Was ist morgen noch normal"
(1997), "Kurswechsel" 2/2000: "Leitbild
Unternehmer", Emmerich Talos: "Atypische Beschäftigung"
(1999).
Les
résultats: les travailleurs indépendants n'ont, pour
la plupart, pas opté pour ce statut eux-mêmes, ils dépendent
souvent de quelques gros donneurs d'ordre peu nombreux,
la situation économique est plutôt précaire qu'autonome,
la diversité des activités (allant du contenu du travail
en tant que tel aux services manuels en passant par
la comptabilité) engendre un surmenage continuel, le
travail à domicile mène à des heures de travail illimitées,
la dissolution des limites entre travail et temps libre
quant à elle, s'accompagne d'une colonisation des derniers
espaces libres par le travail et des soucis d'utilité.
La soi-disant nouvelle liberté est en grande partie
un résultat des stratégies de flexibilisation de l'entreprenariat,
auquel les individus sont exposés sur le marché du travail.
Parallèlement
à ces analyses de la situation économique factuelle,
il émerge aussi une littérature qui se penche, et porte
un regard critique sur les conséquences socio-politiques
des nouvelles circonstances. Ces études exposent une
prophétie de conséquences négatives de la pression continuelle,
engendrée par l'insécurité permanente et l'obligation
de chercher sans cesse des possibilités de se rendre
utile, par rapport au social.
Dans
"Le travail sans qualités" (1998), Richard
Sennett décrit l'histoire d'un déclin: la fin de l'emploi
durable sape des valeurs telles que la confiance et
l'esprit de communauté. Selon Sennett, le travail en
tant que facteur identificateur de l'individu disparaît,
d'où le sentiment d'appartenance à un groupe se déplace
pour se situer plutôt au niveau des communautés locales
et/ou nationales, le nationalisme devenant ainsi la
réaction de plus en plus fréquente face à l'insécurité
économique.
Sergio
Bologna, lui aussi,
considère que le patriotisme local croissant
de la Lega Nord est dû à la renaissance des PME qui
a remplacé dans le Nord de l'Italie les usines des années
70 hantées par des luttes de travailleurs. Selon Bologna,
puisque les nouveaux indépendants n'ont, formellement
parlant, plus de chef, contre lequel ils peuvent se
défendre, l'Etat social recouvrant des impôts devient
désormais l'ennemi principal (Résumé dans "Kurswechsel"
2/2000).
Partant
d'une autre direction, Brian Holmes se rattache à ce
point de vue en opposant à la thèse de "société
de contrôle" de Deleuze les analyses du "caractère
autoritaire" d'Adorno et de Horkheimer, aboutissant
ainsi à une analyse du "caractère flexible",
qui aurait, selon lui, dans le système postfordiste,
remplacé le caractère autoritaire, typiquement fordiste
(article envoyé sur la liste de courriel de *nettime*
le 5. 1. 2002). Par opposition à la personnalité autoritaire,
celui-ci est aliéné non pas de ses désirs mais de la
société politique, et représente par là-même une nouvelle
forme de contrôle social. Paolo Virno a lui aussi analysé,
selon des aspects politiques, la réceptivité de ce caractère
au cynisme.
Dans
*Le nouvel esprit du capitalisme* (2003), Luc Boltanski
et Eve Chiapello analysent en long et en large la littérature
des années 90 afférant au management. Ils y trouvent
un nombre remarquablement élevé d'échos des promesses
de liberté des années 60. Selon eux, les exigences d'autonomie,
de créativité et d'auto-détermination, que la critique
"artistique" des années 68 face à l'establishment
économique avait fait entrer dans le jeu, s'y trouvent
affirmées, tout en se voyant cependant prendre une orientation
pro-capitaliste, se transformant ainsi en de nouvelles
exigences de la part des entreprises envers leurs collaborateurs
et preneurs de commande. Ainsi de nouveaux potentiels
et aspects de personnalité, jusqu'ici inaccessibles
au capital (puisqu'ils étaient considérés comme faisant
partie des loisirs), apparaissent et sont mobilisés
au service de la mise en valeur économique. Aujourd'hui,
l'exploitation ne se fait plus à travers l'emploi mais
à travers la domination de réseaux. Selon Boltanski
et Chiapello, l'exigence de plus d'autonomie serait
ainsi monopolisée, et à présent, il manquerait une critique
"sociale" qui thématiserait des problèmes
de distribution dans cet environnement.
Tournures critiques
Mais
que s'en suit-il? Tandis que beaucoup de détracteurs
critiquent la flexibilisation des rapports de travail
sur le fond d'une responsabilité postulée d'Etat et
de capital pour la sécurité économique des personnes
qui travaillent, Nikolas Rose souligne lui par exemple
(dans *Kurswechsel* 2/2000) que le "soi entreprenant"
est une idée contemporaine largement incontournable,
sans retour en arrière possible, et qui doit constituer
le point de départ de toutes les orientations politiques
imaginables. Sur la base de ce diagnostic, il y a eu
des tentatives analytiques de doter d'une tournure critique
les nouvelles circonstances du monde du travail.
Richard
Florida entreprend une tentative modeste dans ce sens
en faisant de "l'ascension sociale de la classe
créative" ayant ses besoins de liberté, un plaidoyer
en faveur du libéralisme sociopolitique dans la politique
urbaine. (*The rise of the creative class*, 2002). L'"éthos
créatif" aurait besoin d'un environnement empreint
de tolérance, de diversité culturelle et d'abondance
en événements. Ainsi, selon Florida, une politique permissive
et un certain degré de sécurité sociale seraient indispensables
à l'établissement et l'épanouissement de cette "classe
créative" qui constitue de plus en plus la source
principale de prospérité économique.
Si
les besoins des travailleurs indépendants créatifs deviennent
le fondement de l'argument en faveur du libéralisme
social chez Florida, la thèse d'autres auteurs peut
aller jusqu'au communisme. Maurizio Lazzarato voit dans
le "travail immatériel" la source principale
de plus-value à une époque où la production de signification
(à travers la publicité, le design et la communication)
domine de plus en plus la production de biens matériels
(*Umherschweifende Produzenten*, 1998). Les travailleurs
immatériels qui se consacrent à ce travail de production,
et dont le contenu du travail qu'ils fournissent est
le modelage d'opinions, d'ambiances et d'attitudes sociales,
sont ainsi directement actifs dans la politique. Les
limites entre l'économique et le politique deviennent
de plus en plus floues. La créativité devient une caractéristique
de masse, tout comme le deviennent ainsi également,
les spécificités et les problèmes que présente la transformation
du créatif en une marchandise. Les problèmes apparaissant
de plus en plus dans la New Economy, quant au fait de
trouver et d'imposer un prix à des produits créatifs,
deviennent épidémiques, transforment les conditions
sociales et demandent au moins un revenu de base pour
tous.
Cette
idée est reprise par Antonio Negri dans ses travaux
avec Michael Hardt. Avec ses caractéristiques immanentes,
le travail immatériel – autonomie, créativité et auto-organisation
en groupes – serait en fait selon eux une réalisation
de formes de socialisation communistes, auquel le commandement
capitaliste ne serait plus qu'un élément extérieur.
Certes, le capitalisme aurait pénétré tous les domaines
de la vie, mais seulement au prix du fait qu'il aurait
aussi incorporé au coeur de sa manière de fonctionner,
les capacités résistantes, créatives de la "multitude",
et qu'il aurait ainsi donné l'occasion à cette dernière
de se défaire de celui-ci.
Les
promesses capitalistes quant aux possibilités d'autoréalisation
à travers de nouvelles formes de travail sont ici non
seulement prises au sérieux mais aussi radicalisées
et tournées contre les conditions mêmes.
Lorsqu'en
2000 la New Economy connaissait son apogée et que la
globalisation capitaliste s'accompagnait d'une vague
massive et croissante de critique dans le cadre de manifestations
et de protestations contre des sommets de leurs élites,
l'ouvrage de Hardt/Negri intitulé *Empire* mettait en
contexte une série d'évolutions et les plaçait dans
une perspective critique: la globalisation de l'économie
et de la politique des élites, la New Economy et de
nouvelles conditions de travail, la migration et la
résistance etc.
Que
cet ouvrage, "Empire", ait surtout fait fureur
au sein des segments créatifs du prolétariat de la New
Economy, est naturellement aussi lié au fait que, contrairement
à beaucoup d'analyses, le livre ne situe pas les espoirs
de révolution totalement ailleurs (dans la main d'œuvre
industrielle, dans le Sud global etc.), mais justement
chez les lecteurs mêmes. Cet aspect d' "Empire"
fut critiqué par des détracteurs comme étant de la basse
complaisance envers des élites (cf. MALMOE 11), tandis
qu'il fit jaillir de toute part l'enthousiasme parmi
les représentants de la classe créative. Ces derniers
apprirent quelque chose sur eux-mêmes et furent déclarés
comme étant l'incarnation de la condition contemporaine
– cependant, par opposition aux magazines "lifestyle",
non pas comme simple avant-garde coole s'adonnant au
shopping mais bien comme acteurs d'émancipation sociale.
Le fait qu'après le 11 septembre 2001, l'euphorie de réception faiblisse à vue d'oeil est dû à deux évolutions externes: d'une part, la plausibilité de la thèse de politique mondiale de "l'Empire"perdait du terrain face au changement de cap de la politique étrangère des Etats-Unis et à la résurgence accrue de concurrence parmi les grands acteurs de politique mondiale. D'autre part, l'on assistait à l'éclatement de la bulle de la New Economy. Crise boursière et récession économique étouffèrent les espoirs portant sur une expansion durable et rapide dans les domaines-clé du travail immatériel et détruisirent, jusqu'à nouvel ordre, la perspective d'une transformation de conditions sociales à travers la nouvelle économie.
Dépression et aveu
La
phase de prospérité de longue durée des "Roaring
Nineties" (tel est le titre de deux rétrospectives
économiques de Joseph Stiglitz et Alan Krueger / Robert
Solow portant sur ces années) fut relayée au tournant
de la décennie par une période de crise toute aussi
longue et persistante. Ce n'est pas un hasard, si au
début du nouveau millénaire la littérature afférente
à cette thématique est de plus en plus dominée par des
rapports d'expériences, dans lesquels toute transfiguration
des conditions cède la place à une façon de voir les
choses, glissant, à vue d'œil, du cynisme vers la dépression.
Dans
*Les intellos précaires* (2001), Anne et Marine Rambach
dépeignent le portrait d'une génération qui n'attend,
au terme des études universitaires, que l'autonomie
apparente – dans le journalisme, dans le domaine culturel,
dans le secteur cinématographique et télévisuel, dans
le domaine de la recherche et dans d'autres branches
de professions créatives – au lieu de la carrière habituelle,
stable d'antan. Leur vie est caractérisée par la divergence
entre leur statut social élevé et leur équipement matérielle
de piètre qualité. Les promesses néolibérales semblent,
après un certain temps, peu efficaces contre la réalité.
Lors d'entretiens avec des personnes concernées, les
auteurs sont témoins de dépressions, de peurs de l'avenir
et de l'échec, de sentiment d'humiliation faisant partie
intégrante du quotidien.
L'attention
qui fut portée à ce qui a été tu en France suite à la
publication de ce livre, fut davantage renforcée dans
le courant des grèves récentes des intermittents, des
travailleurs culturels indépendants qui se virent confrontés
à des restrictions de leurs allocations de chômage.
La discussion qui s'en suivit autour de l'expansion
de l'autonomie apparente et des conditions de travail
précaires pour l'économie dans son ensemble, surtout
dans le domaine créatif, a avant tout donné naissance
à une vague de littérature d'expérience et d'aveu –
des livres tels que celui de Daniel Martinez intitulé
*Carnets d'un intérimaire* (2003), qui rapporte les
dégradations dans le domaine des stagiaires, et de Abdel
Mabroukis, intitulé *Génération précaire* (2003).
Annette
Weisser et Ingo Vetter ont, dans leurs spectacles s'inscrivant
dans le contexte artistique et qui sont une parodie
de la forme d'ateliers d'expérience de soi mais intègrent
aussi cette dernière, réuni de nouveaux indépendants
afin de parler avec eux de leurs expériences et de déceler
des possibilités de s'organiser afin d'agir contre les
conditions insoutenables. Les résultats documentés dans
une vidéo et un catalogue (*NameGame*, 2003) font apparaître
un degré de réflexion élevé, la généralité de problèmes
et les difficultés pratiques que connaît l'auto-organisation
politique (manque de temps, conflits d'intérêts).
À
Graz, Vetter/Weisser ont rencontré la sociologue Elisabeth
Katschnig-Fasch, qui vient de publier les résultats
d'un projet de recherche sous la forme d'un livre qui
explore avec une approche selon Bourdieu la misère quotidienne
engendrée par les conditions du travail flexibilisé
(*Das ganz alltägliche Elend*, 2003). Lors d'un entretien
avec Vetter/Weisser, Katschnig-Fasch parle d'une surprise
tenant au fait que - bien que ce soit en ce moment un
des tabous majeurs - cela ne posa à peine de difficultés
de trouver des gens qui soient disposés à parler de
leur misère, et que l'on ressentait dans beaucoup de
cas même une certaine gratitude chez ces personnes quant
au fait de pouvoir enfin en parler. Selon les résultats
obtenus par le groupe de recherche, les précarisés souffrent
d'une perte de sens et d'orientation ainsi que d'un
manque de reconnaissance ce qui fait que ces gens réagissent
souvent avec des sentiments de culpabilité. L'étude
fait également apparaître qu'il y a véritablement une
différence entre les ressentiments des hommes et ceux
des femmes quant à cette situation.
Dans
son livre *Minusvisionen*, qui est un recueil d'interviews
réalisés avec des entrepreneurs de start-up échoués,
Ingo Niermann (2003) dépeint le portrait de la New Economy
comme étant une machine absorbant les rêves. Les jeunes
entrepreneurs qui prennent la parole lors de ces interviews
avec Niermann, et qui ont échoué avec des galeries,
des chaînes de fastfood, des marques de mode et des
plates-formes sur Internet, sont pour la plupart présentés
comme des joueurs ayant essayé de tirer profit des occasions
que la New Economy leur offrait avec ses possibilités
de financement, et qui n'avaient, en faisant cela, jamais
pris vraiment au sérieux l'aspect "business"
ou qui étaient dépassés au moment où, finalement, ils
se voyaient imposé ce dernier.
*Minusvisionen*
est la version allemande d'une littérature qui connaît
une floraison
aux Etats-Unis durant les dernières années -
rapports d'expériences de personnes que le boom des
"dot.com" a littéralement englouti. Avec *Netslaves
2.0* (2003), par exemple, Bill Lessard et Co. ont présenté
le volume publié suite à un projet d'Internet et de
livre à grand succès qui très tôt déjà proposait une
plate-forme à l'articulation du mécontentement dû aux
conditions de travail insoutenables dans la ruée vers
l'or-en-ligne. Il devient clair ici que même dans les
domaines chatoyamment profitables des divers secteurs
de production de la New Economy, de l'industrie du Net,
les conditions de travail sont tout sauf véritablement
attrayantes.
Dans
sa discussion de la rétrospective de Geert Lovink sur
la culture du Net des années 90 après la fin du boom
des "dot.com" (*Dark Fiber*, 2002), Bifo (Franco
Berardi), un protagoniste du milieu postopéraiste proche
de Négri, parle d'une lutte des classes entre les entrepreneurs
autonomes cognitifs et les grands monopoles, qui a,
à présent, pris fin à travers la colonisation de l'Internet
par ces derniers (cf. MALMOE 8). Les promesses de la
New Economy auraient ainsi, selon Bifo, échoué, tandis
que le modèle du marché totalement libre se serait avéré
être un mensonge pratique et théorique. Ceux qui, parmi
les nouveaux indépendants, n'auraient pas été absorbés
par l'appareil militaro-industriel seraient à présent
au chômage et désillusionnés. C'est pourquoi c'est au
niveau culturel que Bifo voit exister les conditions
préalables à la formation d'une conscience sociale du
"cognitariat". C'est à ce niveau qu'il voit
détruites toutes les illusions néolibérales. A ce niveau,
la voie est ouverte, selon lui, à un processus non-commercial
de l'auto-organisation autonome du travail cognitif
et de la constitution d'institutions non-dépendantes
du capital. La dépression comme point de départ pour
un nouveau début émancipatoire? Pour l'instant, il n'y
a guère d'éléments auxquels se rattacher pour éprouver
un tel optimisme. Toutefois, la crise continue a, au
moins, fait s'installer un réalisme durable dans l'esprit
de ceux qu'elle touche.
Que
le magazine à parution mensuelle *Gewinn*, l'organe
central du "capitalisme populaire" autrichien,
entame l'année 2004 avec, en titre, l'histoire de "comment
gagner de l'argent sans être employé" en est bien
un signe. Le magazine *Gewinn* fait remarquer que le
phénomène de conditions de travail atypiques traverse
"désormais toutes les catégories professionnelles",
et qu'il " touche des centaines de milliers de
personnes". Cependant, le fait que cela ne soit
pas suivi d'une publicité aggressive de motivation pour
le nouveau concept d'indépendant, mais que le phénomène
soit plutôt considéré comme découlant de la décomposition
des entreprises connaissant une situation économique
difficile, que l'opacité des dispositions légales soit
déplorée, que l'on indique tous les désavantages et
que l'on cède la parole à une syndicaliste pour une
analyse de la situation, constitue un indice bien clair
montrant que, pour l'instant, l'époque de la grande
euphorie et des grandes promesses est apparemment terminée.
Même au sein des fabriques d'idéologies les plus notoires,
la réalité de la crise ne laisse guère d'espace de survie
aux embellissements.
Literature
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Bologna, Sergio / Andrea Fumagalli: *Il lavoro autonomo di seconda generazione. Scenari del postfordismo in Italia*, 1997
Boltanski, Luc / Eve Chiapello: *Der neue Geist des Kapitalismus*, Constance 2003
Eichmann, Hubert / Kaupa, Isabelle / Steiner, Karin (éd.): *Game over? Neue Selbstständigkeit und New Economy nach dem Hype*, Vienne 2002
Fiftitu%: *(A)typisch Frau – zwischen allen Stühlen*, fiftitu.at, 2002
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Gstöttner-Hofer, Gerhard et al. (éd.): *Was ist morgen noch normal*, Vienne 1997
Hardt, Michael/Antonio Negri: *Empire*, Francfort-sur-le-Main 2003
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Kurswechsel 2/2000: *Leitbild Unternehmer*, Vienne 2000
Lazzarato, Maurizio: "Immaterielle Arbeit", in: Negri, Toni / Lazzarato, Maurizio / Virno, Paolo: *Umherschweifende Produzenten*, Berlin 1998
Lessard, Bill / Baldwin, Steve /Lloyd-Jones, Martyn : *Netslaves 2.0: Tales of Surviving the Great Tech Gold Rush*, 2003
Lovink, Geert: *Dark Fiber*, Cambridge / Mass. 2002
Lütgert, Sebastian: *Die Nomaden des Kapitals. Einführung in den Abschied von den umherschweifenden Produzenten*, Starship No. 5, 2002
Mabrouki, Abdel: *Génération précaire*, Paris 2003
Martinez, Daniel: *Carnets d'un intérimaire*, Marseille 2003
Niermann, Ingo: *Minusvisionen. Unternehmer ohne Geld – Protokolle*, Francfort-sur-le-Main 2003
Pinguin: "Bibelstunde – die Empire-Debatte", MALMOE 11, 2003 *http://www.malmoe.org/artikel/verdienen/461*
Pink, Daniel: *Free Agent nation: How America's new independent workers are transforming the way we live*, New York 2001
Rambach, Anne, Rambach, Marine: *Les intellos précaires*, Paris 2001
Rose, Nikolas: "Das Regieren unternehmerischer Individuen", in: *Kurswechsel* 2 / 2000
Sennett, Richard: *Der flexible Mensch*, Berlin 1998
Talos, Emmerich: *Atypische Beschäftigung*, Vienne 1999
Virno, Paolo: "The ambivalence of disenchantment", in: Virno, Paolo /Hardt, Michael (éd.): *Radical thought in Italy*, Minneapolis 1996
Vetter, Ingo /Weisser, Annette: *NameGame*, Graz 2003